RAGUENEAU, admiratif
Oui, le duel en vers !…LISE
Il en a plein la bouche !
(…)RAGUENEAU
… Oh ! faire une ballade !
Acte II, scène 3
Ça fait un bon moment que je n’ai pas, sur scène, dit des vers. En fait ça a dû m’arriver une fois[1]. Dans le premier spectacle professionnel que j’ai joué – et l’alexandrin hugolien, c’est pas rien ! Ce texte-là depuis m’accompagne, je me le redis régulièrement pour voir ce qui m’en reste[2].
Le vers est donc pour moi un vieux compagnon, et je ne me sens pas encombré par les contraintes particulières que ça amène. Il faut dire qu’à la fac, une prof m’a révélé le grand secret : plus qu’un nombre-de-syllabes-par-ligne-avec-une-rime-à-la-fin, un vers est… un rythme ! La raison pour laquelle on a inventé ce truc-là, n’est pas de torturer des collégiens avec des diérèses improbables, mais de faciliter la mémorisation grâce au rappel de son et à une cadence régulière[3].
La difficulté particulière de ce truc-là, du coup, pour le comédien, c’est de placer l’interprétation dans la contrainte du rythme. Difficulté
qui ferait marrer n’importe quel chanteur, mais il faut admettre que ce n’est pas tout à fait le même métier… Pour moi, obsédé textuel depuis toujours, je puise dans les mots, dans la phrase, et donc ici dans le phrasé du vers, l’énergie du personnage. Pour le formuler autrement, je ne fais pas rentrer le texte dans le sentiment, mais bien jaillir l’intention des mots. Je suis assez persuadé que c’est plus facile comme ça. L’expérience démontre que tout le monde ne marche pas comme moi. Étonnant, non ?
Ajoutons tout de même que Rostand ne facilite pas forcément la tâche des ses interprètes dans sa façon de tailler les vers en trois répliques. Ou en faisant rimer Hum !
avec Post-scriptum !
Facétieux, Edmond !
PS : je suis au bord de la frustration, là… j’ai des trucs que j’ai envie de partager et je trouve pas beaucoup de temps pour le faire ! La bonne nouvelle c’est que je devrai avoir du matos pour continuer à publier ici ^^ PPS : Vous avez tout de même échappé à Alexandrin, Alexandre, Ah ! comme titre ! :-D
Notes
[1] enfin, on a joué plusieurs fois, on l’a exploité pendant plus de deux ans, ce truc-là – et même repris 15 ans après (bon, là, c’est un peu tôt pour publier mes mémoires, mais il y aura un chapitre pour cette affaire-là)
[2] un jour que j’aurai cinq minutes, j’apprendrai les parties que je connais mal, tiens
[3] je ne doute que ces choses-là soient des évidences pour les plus lettrés de mes lecteurs, mais ça a allumé une lumière chez moi, à l’époque, et si ça peut profiter à quelqu’autre…
1 De Anne -
C’est rigolo, quand on pense au nombre de profs de l’Educ Nat. qui justement font réciter les vers “bêtement”, avec du coup un sens qui se perd. Et des collégiens qui comprennent ce qu’ils ont appris des années après.
Alors qu’il me semble que c’est tellement puissant, le rythme qui soutient le mot…???
J’allais m’esclaffer sur le titre quand le récit du à quoi nous avons échappé m’a fait ravaler (en fait non, ça a redoublé) mon rire. :-)
2 De Gilsoub -
Voila des choses que j’aime lire… et écouté… me rappelle mon billet d’il y a deux jours !
ps: si tu n’est pas passé chez moi, tu as le bonjours de la dame de Listel d’or qui m’a prié de te passer son bonjour et son bon souvenir !
3 De mirovinben -
“obsédé textuel depuis toujours”… Il n’y a pas que le titre “officiel” et celui “auquel on a échappé” de savoureux dans ce billet.
4 De Noé -
Gilsoub > je suis ravi que la dame de Listel Or (si tu rajoute un d’, tu casses le délicieux jeu de mot, fais gaffe ;-) ) t’ait aussi bien servi que moi ! (et quand même épaté que, 8 ans après, elle se souvienne de moi)
Anne > la scansion est un truc qu’on étudie pas assez dans les cours de théâtre, je crains. J’aurais adoré travailler un chœur de tragédie grecque, par exemple (bon, ok, je n’ai pas suivi de cours de théâtre). Oh punaise, j’ai celui de Maudite Aphrodite qui me revient !
mirovinben > mes lecteurs sont trop bons ;-)
5 De Anne -
Et moi tu viens de me coller le souvenir de Melina Mercouri (dans “Jamais le dimanche” ?) qui remplace la fin de toutes les tragédies grecques par “et ils allèrent à la plage faire un pique-nique” !
(Ok j’ai l’esprit de coq-à-l’Anne)
6 De Noé -
Mince ! voilà qui manque à ma culture !
7 De severine -
bonjour bravo
je collectionne les infos sur le vers récité au théâtre “le vers est un rythme” vous dites juste! j’ai trouvé une illustration douce là:
http://www.youtube.com/watch?v=mj7E…
et hier encore j’ai trouvé une illustration vociférante!! avec la variété du rythme
http://www.youtube.com/watch?v=kpu_…
8 De Noé -
Bonjour et bienvenue par ici, severine.
J’avoue que je suis réservé sur les vidéos que vous proposez. Je me méfie beaucoup des gens qui se prennent au sérieux dans ce métier. Or, à ce qu’on entend, à ce qu’on perçoit de l’enregistrement (la captation n’est pas terrible), on est dans quelque chose qui semble précisément chercher beaucoup moins à raconter quelque chose à tout le monde (et cette dimension-là de l’art dramatique m’est particulièrement chère) qu’à affirmer, par un jeu très codifié, le fait d’être réservé à une élite
.Le comédien, à mon sens, n’est pas poète.
, ce n’est pas notre affaire. Mon travail, c’est d’incarner une parole, de la mettre en mouvement, en émotions et de la porter au spectateur.Le vers est un rythme, et, pour le comédien, un appui pour tendre vers l’émotion partagée avec celui qui le regarde et l’écoute. Le rythme nous porte, ce n’est pas à nous de le porter.
Sauf le cas très singulier, que j’évoque dans le billet, de la scansion en chœur – pour des raisons techniques évidentes, épouser un rythme est alors une nécessité. Mais ce rythme va permettre, par la puissance du souffle à l’unisson, de soulever les poitrines des auditeurs. Contrairement au comédien, cependant, un chœur ne prétend pas communiquer
avec le spectateur.Dire un vers, pour un comédien, à mon sens toujours, consiste à utiliser le rythme interne, à le contourner au besoin, en faisant croire qu’il parle naturellement – mais il y aurait beaucoup à dire sur ce naturel.
Bref, je m’étale un peu, mais voilà un commentaire qui me donnerait envie de mettre en forme ce que je crois, en matière d’interprétation, de diction – et de vers en particulier !